Tourisme d'affaires : quelle frontière avec l'événement ?

Tourisme d'affaires : quelle frontière avec l'événement ?

Malgré leurs faibles marges, les agences de voyages spécialisées dans les prestations aux entreprises intéressent de plus en plus le marché de l'événementiel. Et pour cause : elles abritent un fort potentiel de business.

Longtemps porté par des croissances de 6 à 8 %, le marché du tourisme d'affaires, après avoir connu un régime plat en 2002, affiche pour la première fois quelques signes de fatigue. Si l'on en croit la sixième édition de l'enquête annuelle Coach Omnium, réalisée pour le Salon Bedouk auprès d'un échantillon représentatif de 200 sociétés, le tourisme d'affaires, rattrapé par le ralentissement économique, accuse en 2003 une réduction de 3,2 % des dépenses des entreprises… Les entreprises françaises, qui en 2002 avaient consacré 8,7 milliards d'euros à leurs incentives, séminaires et autres conventions, ont réduit cette dépense à 8,42 milliards d'euros en 2003. Et le ralentissement devrait se confirmer en 2004 : alors que 50 % des sociétés interrogées prévoient un budget à l'identique, elles ne sont que 22 % à envisager une révision à la hausse. Pour 15 % des entreprises approchées, le manque de visibilité sur les évolutions conjoncturelles contraint à l'expectative. Né dans les années 80 de l'entrée de l'incentive dans l'ère des loisirs, le tourisme d'affaires a connu ses heures d'opulence, la débauche budgétaire le disputant alors avec un contexte législatif peu regardant. Aujourd'hui, les budgets se sont creusés et l'époque est bien révolue des voyages “en parrainage” où clients ou partenaires “invités” prenaient en charge tout ou partie du déplacement. Le fait de permettre à des profils de même ascendance professionnelle de se retrouver étant considéré en soi comme un cadeau. Finies également les grandes vagues d'internalisation. Dès les années 90, les grands constructeurs automobiles, friands d'incentives, ont revendu leur agence interne. Des agences de taille non négligeable : chez Iveco, la structure voyages employait une quinzaine de personnes. Si aujourd'hui, des entreprises comme Pernod Ricard, BNP Paribas ou Ernst & Young conservent leur propre entité dédiée, elles font exception. Le secteur pharmaceutique, très consommateur de tourisme d'affaires, reste le seul à alimenter un bataillon significatif de structures internes. Les prestations en matière de tourisme d'affaires sont quasi systématiquement confiées à des agences extérieures. « Les agences nous connaissent et nous appellent. Ce sont d'ailleurs toujours les mêmes, et souvent des structures très spécialisées sur des secteurs d'activité - le médical par exemple - ou des types d'événements - corporate, incentive…», développe Béatrice de Rotalier, directrice commerciale de Delta Air Lines.

Un métier légalement cadré

Alors que les agences d'événements ne sont contraintes que par la législation sur l'organisation de spectacles (et encore, seulement dans le cas d'importants événements grand public), la délivrance de prestations de tourisme requiert l'inscription aux registres de la préfecture et la détention d'une licence. L'obtention du code NAF 633 Z impliquant le dépôt de garanties financières, une assurance responsabilité civile, un diplôme de tourisme et une expérience professionnelle. Plus facile donc pour les agences de voyages d'aller jouer sur le terrain des organisateurs d'événements que l'inverse. « La plus grande difficulté pour une agence d'événements qui n'a pas le droit de facturer les prestations tourisme, c'est la maîtrise de la chaîne de l'argent, affirme Marc Albouy, directeur des événements de Pro Deo. Un voyage d'affaires, ce sont des postes budgétaires éclatés, pour une somme parfois très largement supérieure à celle de la prestation événementielle, et avec des marges très faibles. » Pour garantir une meilleure visibilité dans la gestion des dépenses, l'agence d'événements entretient depuis cinq ans des relations privilégiées avec une agence de voyages spécialisée dans le tourisme d'affaires. Pas de licence, donc, pour Pro Deo, mais une marque commerciale, Pro Deo Voyages, que l'agence ne considère d'ailleurs pas comme un produit d'appel. « C'est essentiellement un service que nous souhaitons pouvoir apporter à notre clientèle si elle le demande, cela nous permet d'entretenir une continuité dans l'offre. » Selon Dominique Plassetty, vice-président de l'Anaé (Association des agences conseil en évé-nements et tourisme d'affaires) les agences de voyages spécialisées n'atteignent pas la centaine, pour une petite quarantaine qui “font” le marché. Mais, en l'espace de dix ans, on a vu les agences d'événementiel s'intéresser de très près aux voyages, cherchant les unes après les autres à s'approprier une licence pour intégrer la prestation de tourisme d'affaires à leur offre. « Publicis Travel a été la première agence de voyages filialisé par une structure d'événementiel », affirme Richard Attias, fondateur en 1994 de ladite agence et détenteur à titre nominatif de la licence, aujourd'hui président de Publicis Events. Un an plus tard, Le Public Système crée sa propre filiale, le Public Système Voyages. En 1999, c'est au tour d'Auditoire de créer en son sein Auditoire Voyages, structure opérationnellement et structurellement fondue dans l'ensemble des autres activités de l'agence, mais qui emploie tout de même une dizaine de personnes, dont trois dédiées au budget Renault. D'autres entités dédiées aux événements ont opté pour le rachat de structures existantes. Capital Events, qui fut un temps leader sur le marché de l'événement, avant de déposer le bilan pour gestion hasardeuse, avait amorcé le mouvement en rachetant la SCAC, agence de voyages interne du groupe Renault.

Cibles et budgets communs, compétences et outils spécifiques

Chez Market Place, qui vient d'être vendue par Accentiv à GL Events, on n'exclut pas l'hypothèse d'une acquisition. Autre agence d'événements, W One, créée il y a trois ans, envisage de monter en interne une structure voyages. « C'est un secteur porteur et qui nous permettra de toucher une cible de directeurs commerciaux et marketing », soutient Nicolas Dussart, directeur associé. Aujourd'hui, l'agence travaille essentiellement sur du corporate, moins demandeur d'événements que les incentives. « Une grande entreprise va réaliser en quelques mois plusieurs opérations de tourisme d'affaires. L'activité permet aux agences de contractualiser du business à l'année », ajoute Cyril Giorgini, président d'Auditoire. Agences d'événements et de voyages agissent sur les mêmes cibles, piochent dans les mêmes budgets. « Nous utilisons des outils différents, nuance Dominique Plaissetty, vice-président Tourisme d'Affaires de l'Anaé et président de Prexo. Je me fous qu'ils prennent tous la licence. Mais, au moins, qu'ils acquièrent aussi les compétences. La tarification aérienne, c'est un métier. Ils n'y connaissent rien. » L'agence Carré Bleu Marine s'est inscrite dans un schéma inverse au mouvement général, en décidant de dissoudre son agence de voyages interne. « Nous revendiquons une logique d'expertises. Si on fait de la communication par l'événement, notre métier n'est pas de faire du tourisme d'affaires », remarque Jean-Marc Danna, directeur général. Communauté de cible, revendication des expertises… Le positionnement adopté par le syndicat porte-drapeau des agences d'événements ajoute à la confusion. La dénomination de l'Anaé l'indique sans détour : le syndicat professionnel est né de la fusion du syndicat des agences d'événementiel et de l'Aftac, Association française de tourisme d'affaires et de congrès. Un rapprochement qui en heurte plus d'un.

L'Anaé : 27 agences de voyages pour 56 agences d'événements

Fin septembre, l'agence 35 Décembre, adhérente de longue date, annonçait son départ de l'Anaé, au motif, expliquent ses dirigeants, que l'assimilation alimente le flou. « Cela revient à nier l'importance du conseil, du travail d'analyse, de l'approche stratégique qui accompagne toute conception d'une opération de communication événementielle digne de ce nom. Si l'on peut comparer deux voyages d'affaires sur les prix, peut-on comparer deux stratégies de lancement de projet d'entreprise sur un devis ? » Une diatribe que Dominique Plaissetty balaie d'emblée : « Les agences de voyages ont un vrai rôle de conseil. Nous devons aider nos interlocuteurs à définir leurs objectifs et les accompagner pour les atteindre. » Aujourd'hui, l'Anaé compte 27 agences de voyages pour 56 agences d'événements. Activité si porteuse, le tourisme d'affaires ? En termes de marges, elle s'avère deux fois moins rentable que l'événementiel. Son intérêt réside essentiellement dans le volume de business généré. Publicis Meetings, marque née du rapprochement de Media Public et Dixit, deux agences affichant une forte expérience dans le médical, réalise aujourd'hui, avec quelque 70 permanents, un tiers de l'activité de Publicis Events. Le Public Système Voyages emploie pour sa part vingt-cinq personnes à temps plein et représente, selon ses dirigeants, la première activité du groupe en termes de génération de chiffre d'affaires. L'agence affiche un total de 105 opérations pour 2003 (soit un huitième des opérations montées par le groupe) et devrait en réaliser entre 130 et 140 en 2004, dont 70 % à l'étranger. « Du fait de la structure et de l'indépendance actionnariale du groupe, la vampirisation de l'événement par le voyage n'est pas un problème pour le Public Système. Dans d'autres cas de figure, ça peut devenir invalidant, en tous cas pour l'activité événementielle », commente Marc Albouy.

Hégémonie des directions achats

Tous les prestataires le constatent : les directions achats ont mis la main sur les voyages. Si la prescription et le choix final relève des directions fonctionnelles les plus directement concernées - en majorité des directions commerciales, à moindre échelle des directions marketing -, la décision appartient aux acheteurs. « Le poste de “meeting planner” est réservé, en France, aux très grands comptes de l'industrie pharmaceutique, de l'industrie automobile et, dans une moindre mesure, du luxe », affirme Laurence Rousseau-Jankowski, directrice de la rédaction du magazine Bedouk. Cette irrépressible prégnance des directions achats a sérieusement atrophié les marges déjà modestes du marché du tourisme d'affaires. « Les acheteurs en entreprises sont en train d'étouffer les prestataires. De manière dramatique », lance Richard Attias. Les grands comptes et leurs services achats ont, pour la plupart, établi des chartes de référencement avec les chaînes hôtelières. Difficile dès lors pour de petites agences locales de rivaliser dans la négociation tarifaire. « On aurait pu imaginer que les dix plus grosses agences d'événements montent une structure commune, qui leur aurait au moins permis de garantir à leurs clients des prix compétitifs face à la force de frappe des tours operators », lance Marc Albouy. Une formule qui aurait également écarté les métiers de l'événement des sirènes du tourisme. Les entreprises ne veulent pas rogner sur le niveau des prestations et notamment sur la qualité de l'hébergement. Selon l'étude 2003 de Coach Omnium, le budget moyen reste stable, aux alentours de 150 euros par participant pour un séminaire avec hébergement et de 30 à 60 euros pour une journée d'étude. Les économies sont plutôt recherchées sur ce second poste. « Les entreprises qui louaient dans les catégories quatre étoiles continueront de le faire. En revanche, les prestataires seront priés de trouver les meilleurs prix », explique Mark Watkins, président de Coach Omnium. Les budgets sont toutefois très variables d'une manifestation à l'autre : 30 % des séminaires résidentiels se situent entre 120 et 150 euros par participant et 31 % entre 150 et 230 euros.

Un quart du business au sein du syndicat

En 2003, les voyages ont représenté 23 % du chiffre d'affaires des agences membres de l'Anaé, ce qui en fait la deuxième activité au sein du syndicat en termes de business, derrière les conventions et devant les soirées, les événements grand public et les salons. Cette part atteint 37 % dans le cercle des agences de taille moyenne, où se concentre la majorité des détenteurs de licence de tourisme. Alors que 50 % des agences de tourisme d'affaires membres de l'Anaé ont enregistré une baisse de régime en 2003, 25 % affichent des résultats à la hausse et un autre quart présente une activité en stagnation. Le conseil ne représente que 4 % du chiffre d'affaires des agences de taille moyenne (“peu de conseil pur facturé par les agences spécialisées en tourisme d'affaires”), précise-t-on à l'Anaé.

L'Anaé se risque à la mesure

L'Anaé, association nationale des agences conseil en événements et tourisme d'affaires, vient de commercialiser avec la société d'études Occurrence un outil forfaitaire de mesure de la perception des événements, dont la facture ultrastandard permet une déclinaison quasi universelle, y compris aux prestations de voyages. Pas de question ouverte - du moins pour le premier niveau forfaitaire -, mais des indicateurs portant en grande partie sur la forme de l'événement. Tarif d'entrée de gamme : 3 500 euros. En s'offrant l'outil de mesure proposé par l'Anaé, une entreprise s'engage à alimenter avec les résultats obtenus une base de données anonyme qui servira de référentiel universel. L'outil suscite deux interrogations majeures. L'application d'un même outil standard aux prestations événementielles et de voyage est-elle fondée ? Quelle est la vertu objective d'un référentiel détenu par un syndicat professionnel ?

Tourisme d'affaires et lieux d'exposition en Ile-de-France

Le tourisme d'affaires en Ile-de-France représente 3,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 50 000 emplois créés ou maintenus grâce aux seules dépenses des participants aux salons. En 2002, 1 651 manifestations ont eu lieu sur les dix centres d'exposition d'Ile-de-France (563 000 m2 de surface utile), dont 420 salons, 382 congrès nationaux ou internationaux et 849 autres événements tels que réunions d'entreprises, expositions culturelles, etc. Source : Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris.

Achat et gestion : des outils dédiés

En France, la pénétration des systèmes de gestion des voyages en ligne ne dépasserait pas 5 %, alors qu'elle atteint 20 % aux Etats-Unis. « Réduire le budget voyage de 10 % a un impact positif de l'ordre de 0,5 point sur l'Ebitda des entreprises », affirme Yves Weisselberger, président directeur général de KDS, éditeur de solutions dédiées, qui situe dans une fourchette de 5 à 20 % les économies réalisables. Quant à l'investissement dans un outil de ce type, il serait de l'ordre de 1 % du budget voyages.

L'Europe, rarement plus loin…

Selon l'édition 2003 du baromètre Coach Omnium/Bedouk, les entreprises françaises restent très classiques dans le choix des destinations. Un tiers des entreprises opte pour l'étranger, en Europe du Nord dans 29 % des cas ou en Europe du Sud (23,5 %), mais rarement plus loin. En matière d'hébergement, on observe une nette montée en gamme. La part des trois étoiles est descendue à 60 %, contre 67 % en 1997, tandis que celle des quatre étoiles est passée de 40 % à 58,5 %. Par ailleurs, les hôtels indépendants remportent de plus en plus de succès face aux hôtels de chaîne : en 1997, 34 % des entreprises faisaient appel à leurs services ; elles sont 72 % en 2003 et 78 % des sondés accordent la même confiance aux hôtels indépendants et aux hôtels de chaîne. Cette évolution traduit une recherche croissante d'originalité de la part des organisateurs. Ainsi, les lieux de réunion autres que les hôtels (lieux de réception, palais des congrès...) attirent de plus en plus. La part des palais des congrès est ainsi passée de 14 à 27 % en l'espace de sept ans. Cette recherche de nouveauté se traduit également par un certain nomadisme assorti d'une perte de fidélité : 76 % des organisateurs souhaitent changer régulièrement de lieu de séminaire. Source : Coach Omnium.

Les agences contraintes à la créativité

“Budgets resserrés, séjours plus courts, omniprésence du juridique, pas d'ostentation, prévalence du travail sur le ludique, fortes exigences en termes de sécurité : groupes répartis sur plusieurs vols, travel policies…». Sophie Amsellem, directeur associé du Public Système Voyages, liste les tendances de la demande des entreprises en matière de tourisme d'affaires. Un catalogue a priori peu enthousiasmant pour les prestataires, qui doivent, malgré ce contexte, puiser les différents leviers susceptibles de “faire l'événement”. La valeur ajoutée se cache essentiellement dans la créativité : destinations, lieux, concepts… Mais comment dénicher les idées que les autres n'auront pas lorsque l'on s'alimente aux mêmes sources que les concurrents ? Les agences de voyages sont toutes invitées par les mêmes “réceptifs” (prestataires locaux) dans les mêmes “éductours” (voyages de présentation d'offres locales). Elles lisent la même presse (Voyages & Stratégies, Bedouk, Voyages d'Affaires…), fréquentent les mêmes grands rassemblements professionnels, notamment Bedouk MC & IT, le salon du tourisme d'affaires et des événements professionnels, qui draine chaque année en janvier environ 5 000 visiteurs au Carrousel du Louvre. Mais, soutient Richard Attias, président de Publicis Events, la valeur ajoutée relève également de la force des prestataires en matière de gestion des capacités. « Il y a de plus en plus de congrès, de très gros congrès internationaux. Les agences en mesure de répondre avec efficacité à ce type de demande ne sont pas légion. » De fait, selon Coach Omnium, le nombre moyen de participants va en augmentant. En 2003, 59 % des entreprises interrogées ont organisé une ou plusieurs opérations de plus de 100 participants contre 38 % en 2000.